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Le charme discret des toilettes publiques

Dernière mise à jour : 14 janv.

Julien Damon, enseignant, essayiste et chroniqueur, vient de publier aux Presses de Sciences Po un livre intitulé "Toilettes publiques. Essai sur les commodités urbaines". Il nous parle de ce sujet encore trop peu pensé des politiques urbaines, alors que les JOP2024 et les objectifs de l'ONU nous rappellent leur dimension fondamentale.


Sciences Po Urba : Concomitant de la parution de votre livre, le réalisateur Wim Wenders vient de réaliser "Perfect Days", un film sur un employé japonais chargé du nettoyage de toilettes publiques. Comment analysez-vous le retour de cette question dans nos sociétés ?


Julien Damon : Du côté de l’empire du Soleil-levant, ce n’est pas un retour, c’est une tradition faite à la fois d’hygiène, d’esthétique et d’art. C’est ce dont rend compte, à sa manière, le film de Wim Wenders.


À l’échelle globale, la question des toilettes prend, de façon moins artistique, une importance grandissante car, parmi les objectifs de développement durable de l’ONU, figure l’ambition de mettre fin à la défécation à ciel ouvert. Aujourd’hui encore des centaines de millions de personnes sont encore condamnées à ces extrémités. Des centaines d’enfants, chaque jour, meurent parce qu’ils vivent en contact avec les eaux usées. Des progrès considérables ont été faits, en Chine et en Inde en particulier, mais il reste beaucoup à faire.


Image extraite du film "Perfect Days" de Wim Wenders (2024)


Dans notre beau pays, le sujet est pris souvent à la rigolade et avec mépris. C’est pourtant là aussi un sujet de dignité humaine, pour les sans-abri, pour les personnes âgées, pour des personnes malades. C’est aussi un sujet d’attractivité, pour les touristes, singulièrement ceux qui viennent du Soleil-levant, mais pas seulement. C’est aussi un sujet pour tous les professionnels de la mobilité qui, dans la ville, ont besoin de services pour leurs besoins.


Enfin c’est un sujet qui nous concerne tous car, précisément, nous sommes tous de plus en plus mobiles. Et tous nous sommes confrontés à l’absence ou à l’insuffisance de toilettes dans l’espace public et dans les bâtiments publics. Il y a à faire !


Sciences Po Urba : Dès lors, en quoi et comment les urbanistes peuvent-ils se saisir de cette question ?


Julien Damon : Parce que c’est une dimension basique de la vie urbaine qui est peu prise en considération. Je sais cependant que les diplômés du Cycle sont investis sur ces questions et je me rappelle, notamment, avoir participé, dans la métropole de Lille, à une expertise menée avec des cyclistes travaillant à l’agence d’urbanisme.


Au-delà du seul Cycle d’urbanisme, c’est une question importante pour tout l’urbanisme car cela pose des questions d’adaptation de la ville aux nécessités humaines, certaines éternelles (les besoins, comme les diamants, sont éternels) et certains contemporaines (ce sont les sujets des mobilités et du vieillissement qui poussent à agir pour offrir davantage de solution). C’est un sujet pour les urbanistes car il y a des dimensions techniques et juridiques à l’affaire. Il est difficile d'implanter puis de gérer des toilettes publiques ! C’est par exemple souvent compliqué à faire accepter dans un quartier. C’est aussi un sujet juridique intéressant. Le Code du travail est très précis sur les « cabinets d’aisance » sur les lieux de travail. Le Code de la construction est lui aussi bien doté. Mais pour ce qui concerne le Code de l’urbanisme et celui des Collectivités territoriales, je trouve qu’il y a matière à ce que les urbanistes s’interrogent et – s’ils le souhaitent – se mobilisent.


Aucune obligation ne pèse sur les municipalités pour qu’elles mettent à disposition un minimum de services sanitaires. De même les établissements recevant du public (ERP) n’ont pas d’obligations en termes de toilettes.

Alors si, il y a des normes. Pour les salariés travaillant dans les ERP le Code du travail s’impose, avec ses cabinets d’aisance donc. Mais ils ne sont pas pour les clients et les passants ! Autant dans une gare SNCF que dans un centre commercial. Autre obligation, s’il y a des toilettes, il faut qu’elles soient accessibles aux PMR. Mais, bref, il y a des manques criants en ville. Et les urbanistes peuvent faire des expertises, des études, des propositions, pour que ceci change.


Sciences Po Urba : Y-a-t-il des expérimentations, des innovations qui vous ont particulièrement marquées en la matière ?


Julien Damon : D’abord - cocorico ! - nous avons avec JCDecaux, une entreprise qui a su innover avec la création des sanisettes (marque déposée) permettant des solutions propres et accessibles à égalité aux femmes et aux hommes (ce qui est une dimension capitale du dossier). Cette innovation de sanitaires à maintenance automatique fait le tour du monde.


Mais ce qui m’intéresse le plus ce sont deux choses. C’est, d’une part, le déploiement de toilettes sèches, séparatives (entre liquides et solides – pas besoin de dessins), permettant le traitement court et le réemploi (engrais) de nos excreta. C’est, d’autre part, mon dada : l’établissement d’une sorte de délégation de service public aux bars et restaurants. Ceux-ci sont, de fait, les principales toilettes publiques urbaines. Les restaurateurs ont parfaitement le droit de refuser à des non-clients l’accès à leurs commodités. Alors je plaide pour qu’ils soient financés par la collectivité publique pour cela. L’idée trouve d’ailleurs de plus en plus de réalisations, par exemple avec le modèle développé par la start-up Ici Toilettes, à Nantes, à Montreuil, à Grenoble.


Sciences Po Urba : Si une seule mesure devait être appliquée, en France ou dans le monde, quelle serait-elle selon vous ?


Julien Damon : Et bien paf ! J’en vois deux, pour la France. Je pense qu’il faudrait une disposition législative du type « À partir de x milliers d’habitants, la municipalité doit proposer y toilettes dans l’espace public pour mille habitants ». x et y sont à paramétrer.

Et la deuxième mesure à appliquer c’est d’étendre, avec l’hôtellerie restauration, ces systèmes leur permettant de rentrer dans leurs frais en assurant ces missions d’hospitalité générale. Pour donner un titre général à ces politiques, je développe un principe GPS, trois lettres pour gratuité, propreté, sécurité. Si vous êtes parisien ça fait même PSG.


Image extraite du film "Le fantôme de la liberté" de Luis Buñuel (1974)


Sciences Po Urba : Enfin, au-delà de la dimension sanitaire voire écologique, la question des toilettes, publiques ou privées, ne traduit-elle pas le besoin d'un lieu de solitude nécessaire dans un monde de sollicitations permanentes ?


Julien Damon : Il y a les dimensions sanitaires essentielles de ce dossier. Il y a les dimensions écologiques, avec des chasses d’eau potable qui sont de véritables gouffres écologiques dans les pays riches (et le cinquième de la consommation d’eau des ménages ce sont les WC). D’où, en l’espèce, la nécessité d’innover vers les systèmes secs et séparatifs, vers du circuit court. Ceci concerne la France et tous les pays du monde.


Votre question plus philosophique, sans être pleinement métaphysique, me fait penser à deux choses. D’abord il est vrai que les toilettes, publiques ou privées, servent aussi à s’isoler pour diverses pratiques. Certaines sont réprouvées par la morale (mais alors chacun ses idées). D’autres sont plus banales. Il y a des études précises là-dessus. On va, au bureau, aux toilettes, pour écrire, pour lire, pour rêvasser. Donc oui, on utilise les toilettes, généralement, pour s’isoler. Ma deuxième observation tient dans le caractère particulièrement génial des toilettes publiques, celles à usage collectif dans l’espace public. Ce sont des lieux où il faut composer avec la nécessité de préserver la plus parfaite intimité et la nécessité de s’ouvrir à tous. Quels défis !


Et pour trouver et lire le livre dans son intégralité, c'est ici !





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