La requalification des emprises foncières commerciales à l'ère de la ZAN
- Romeo Chabroux
- 18 mars
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 1 jour
Alors que la loi ZAN (zéro artificialisation nette) rebat les cartes de l’aménagement du territoire, les vastes zones commerciales de périphérie apparaissent comme un gisement foncier stratégique. Pourtant, leur transformation en quartiers urbains mixtes se heurte à de nombreux freins.
Durant mon stage au sein de l’équipe Ville en Vue chez Icade, j’ai étudié plus de 250 sites commerciaux. Constat marquant : dans 90 % des cas, aucun projet de transformation n’est envisageable.
Ce constat m’a conduit à interroger les freins à la mutation de ces emprises commerciales. Pourquoi ces projets échouent-ils ? Et surtout : comment changer la donne ?
Romeo Chabroux (promotion 2023-2024) a écrit cet article dans le cadre de son stage à la Direction Nationale du Développement d'Icade.

La cadre légal de la loi ZAN
Adoptée dans le cadre de la loi Climat et Résilience de 2021, la trajectoire ZAN vise à atteindre zéro artificialisation nette des sols à l’horizon 2050, avec une première étape : réduire de moitié le rythme d’artificialisation d’ici 2031.
L’artificialisation est définie comme toute perte durable de la fonction naturelle, agricole ou forestière d’un sol, en raison de son imperméabilisation ou de sa transformation en surface bâtie ou infrastructure. La ZAN impose donc aux collectivités de limiter les extensions urbaines et de mobiliser prioritairement les sols déjà artificialisés, via la densification, la reconversion, ou la réhabilitation.
Dans ce contexte, les zones commerciales en entrées de ville apparaissent comme des leviers majeurs pour construire la ville sur elle-même, sans consommer de nouveaux espaces naturels.
Les ZAE : un urbanisme hérité à bout de souffle
Les zones d’activités économiques (ZAE), créées dans les années 1970, sont souvent implantées aux entrées de ville, pensées pour la voiture, avec une densité très faible et une architecture répétitive.
Ces boîtes à chaussures posées sur des parkings géants sont les vestiges d'un urbanisme d'abondance aujourd'hui obsolète. David Mangin, La Ville franchisée, 2009
Peu connectées aux transports, sans lien avec le tissu urbain, ces zones, par leurs logiques de fonctionnement, spatiales comme économiques peinent à répondre aux nouveaux besoins urbains.
Mutations du commerce, signaux de transformation
L’essor du e-commerce, la crise des hypermarchés, la remise en cause du tout-automobile et la crise du logement viennent bouleverser le modèle économique des ZAE.
Certaines enseignes de la grande distribution ferment des surfaces commerciales surdimensionnées, sous-performantes économiquement ou dévitalisées (21 hypermarchés Auchan cédés en 2019), tandis que la demande en logements explose. Dans ce contexte, la requalification des zones commerciales apparaît comme une réponse possible à une double exigence : densifier sans artificialiser, et réintégrer des espaces périphériques dans la dynamique urbaine.
Une mobilisation d’acteurs économiques encore ciblée
Des groupes comme Frey, Nexity, Carrefour, Altarea ou la Banque des Territoires initient des opérations pilotes (Montigny-lès-Cormeilles, Mérignac Soleil…). Mais ces projets sont concentrés dans les grandes agglomérations, zones tendues souvent classées Pinel A/B1, laissant à l’écart les territoires ruraux jugés non compétitifs.
La logique des acteurs économiques ignore les territoires ruraux non compétitifs.
Sept verrous structurels à la requalification
La dureté foncière : Les sites sont souvent fragmentés en de multiples parcelles, appartenant à des propriétaires différents, avec des baux commerciaux aux échéances et conditions hétérogènes. Ce morcellement complexifie toute démarche de requalification.
Les enjeux environnementaux : De nombreux sites présentent des risques de pollution ou contiennent de l’amiante, nécessitant des études préalables et des travaux de dépollution et de désamiantage onéreux.
Des contraintes économiques fortes : Les ambitions programmatiques et environnementales sont souvent revues à la baisse en cours d’étude pour respecter des bilans financiers déjà fragilisés. Par exemple, l’enfouissement des parkings, souhaité pour libérer du foncier et améliorer le cadre urbain, est bien souvent abandonné au profit de solutions aériennes moins coûteuses.
Une accessibilité encore trop dépendante de l’automobile : Ces zones sont historiquement conçues pour la voiture. Le manque d’infrastructures pour les mobilités douces ou les transports en commun freine leur mutation vers des quartiers urbains.
Le maintien ou non de l’activité : Dans certains cas, une activité commerciale peut être conservée pendant les travaux, ailleurs, l’arrêt définitif ou a minima une rupture provisoire de l’activité est inévitable, avec des conséquences sociales et économiques à intégrer.
Des indemnités élevées de rupture ou d’éviction : Lorsqu’une activité doit être interrompue, il faut négocier des compensations. Ces indemnités dépendent de la rentabilité du commerce évincé. Plus le chiffre d’affaires est élevé, plus la compensation exigée le sera aussi. Par ailleurs, les commerçants ayant récemment investi dans leur local peuvent refuser de partir sans contrepartie importante, alourdissant considérablement le bilan d’opération.
Une logique de marché sélective: Les promoteurs privilégient les marchés sécurisés où la demande est forte. Les zones rurales ou périphériques, où les perspectives de valorisation sont moindres, peinent à attirer des investisseurs.
Le rôle structurant des collectivités
Les collectivités territoriales sont les seules en capacité d’impulser une vision d’ensemble, à l’échelle du quartier voire du territoire. Maîtrise foncière, planification à long terme, mise en place d’outils de concertation, portage des risques : leur mobilisation est la condition de réussite.
Encore faut-il qu’elles soient outillées, accompagnées et financées, notamment pour intervenir dans les territoires où le marché est absent.
Pour dépasser ces verrous, les acteurs publics doivent jouer un rôle moteur :
- Coordination des porteurs de projets
- Planification à long terme
- Dialogue avec les opérateurs
- Mise à disposition de foncier
- Mobilisation des outils d’aménagement (ZAC, ORT, EPF…)
- Appels à projets, subventions, fiscalité incitative
Mais surtout, les collectivités doivent se doter d’une vision de territoire qui dépasse le périmètre de l’emprise commerciale. Repenser une ZAE, c’est repenser un quartier.
Conclusion
Transformer les zones commerciales n’est pas une utopie, c’est une nécessité. Ces espaces sont déjà artificialisés, souvent bien localisés, et parfois sous-utilisés. Ils sont un levier pour construire la ville de demain sans étalement supplémentaire.
Pour cela, il faut sortir des logiques purement immobilières et faire de ces projets des opérations de territoire. La réussite dépendra de la volonté politique, de la coordination entre acteurs publics et privés, et de l’injection de moyens spécifiques pour financer la transformation.
Transformer un espace commercial en un véritable quartier de vie ne peut pas se réduire à la simple juxtaposition de programmes résidentiels et commerciaux.
À condition d’agir à temps, ces lieux aujourd’hui en marge peuvent devenir les quartiers mixtes durables de demain.
Pour aller plus loin
Bibliographie
Mangin, D. (2004). La ville franchisée : Formes et structures de la ville contemporaine. Éditions de la
Villette.
Le Figaro. (2019, mai 1). Fermeture de magasins : Auchan, le modèle de l'hypermarché en péril.
Banque des Territoires. (n.d.). L’USH évalue le besoin en nouveaux logements sociaux : 198 000
Carrefour. (2023). Carrefour et Nexity s'associent pour la revalorisation de 76 sites Carrefour.
Banque des Territoires. (2023, juin 1). CP : Banque des Territoires.
Fédération des élus des entreprises publiques locales. (n.d.). Mérignac Soleil : De la zone
Image de couverture : ©Dossier de presse - démonstrateur - Repenser la Ville/L'entrée de ville de Montigny-lès-Cormeilles aujourd'hui et le projet de transformation.
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