"Foncier commun" : rencontre avec les lauréates du challenge "Make the City" 2021
- Sciences Po Urba
- 30 avr. 2021
- 6 min de lecture
Entretien réalisé par Tanya Sam Ming et Pauline Boos, publié pour la première fois en avril 2021.
Le 17 mars 2021, l’équipe “Dans ta rue”, composée de quatre étudiantes du Cycle d’urbanisme a remporté la première place du challenge étudiant “Make the City”, lancé par la Fondation Palladio et Agorize. Julie le Bourhis, Sémia Moudni, Anna Quenneville et Margot Vandecandelaere ont relevé le défi de proposer un projet pour la ville de demain, dans la catégorie “La ville et l'immobilier humains et inclusifs”, face à 480 autres candidatures, soit plus 1600 étudiants de 48 nationalités différentes. Sciences Po Urba a rencontré l’équipe lauréate pour revenir sur leur projet “Foncier Commun”.
Pouvez-vous présenter votre parcours initial avant le Cycle d’urbanisme ?
Anna Quenneville Avant le cycle, j’ai validé mon master en Environnement et Développement Durable de l’Université de Montréal en faisant un stage chez ekodev, cabinet de conseil parisien spécialisé en environnement et conduite du changement. Je travaillais sur des questions de mobilité en zone urbaine et périurbaine. J’ai aussi un bon bagage en sciences humaines après une prépa lettres et une licence à Sciences Po Lyon.
Margot Vandecandelaere Pour ma part, j’ai rejoint le cycle après le double diplôme Urban policy, que j’ai réalisé entre Sciences Po et la London School of Economics. Côté professionnel, j’ai une vraie appétence pour le secteur public, je suis notamment passée par l’office HLM de Nanterre, et dernièrement par le Plan Urbanisme Construction Architecture au ministère de la transition écologique.
Julie le Bourhis J’ai effectué mes études supérieures à l’université Paris-Dauphine où j’ai obtenu un M1 en développement durable et un M2 en conduite du changement. Avant d’intégrer le Cycle d’Urbanisme, j’avais effectué deux stages en RSE chez Klépierre et Altarea pendant mon année de césure et une alternance en RSE d’un an à la Direction du territoire de Plaine Commune chez BNP Paribas. J’ai d’ailleurs réalisé lors de cette dernière expérience que les associations et entreprises de l’ESS étaient de vrais alliés pour des territoires comme le 93.
Sémia Moudni Avant d’intégrer le Cycle, comme Anna, je suis passée par la classe prépa littéraire avant d’être diplômée d’un Master 1 en droit public à la Sorbonne puis d’un Master 2 en droit immobilier, construction et urbanisme à Assas. C’est au cours de ce dernier que j’ai effectué mon stage le plus long, au sein de la direction juridique d’un promoteur immobilier.
Qu’est-ce qui vous a motivé à participer au challenge “Make the City” ?
C’est sous l’impulsion de Sémia que nous avons décidé de faire ce challenge, un peu pour le fun à vrai dire ! L’équipe s’est formée assez naturellement. Même chose pour le choix du thème, “la ville inclusive”. Je crois que nous sommes toutes animées par une forte curiosité envers les sujets de mixité, de résilience sociale et environnementale, et nous souhaitons surtout, dans nos pratiques professionnelles, avoir un impact humain positif sur la manière de faire la ville. Ce sont ces traits communs qui nous ont conduit à discuter, de longues heures, afin d’aboutir à une idée concrète. Et c’était aussi l’occasion de travailler ensemble sur autre chose que les cours, de se lier différemment…
De quels constats / de quelles inspirations êtes-vous parties pour concevoir le projet “Foncier commun” ?
Après le voyage d’étude à Marseille, notamment la visite du quartier Euromed, nous avons toutes constaté un problème récurrent au sein des nouveaux projets urbains. La plupart d’entre eux deviennent des quartiers dortoirs et la vie de quartier est quasi inexistante. Et cela ne tient pas seulement au manque de qualité architecturale ou à la forme des espaces publics. Nous avons observé un désengagement du promoteur sur les usages et besoins, sur l’analyse sociale du contexte territorial (forces vives, faiblesses, potentiel) ainsi que sur la prise en compte de la parole habitante. Sur ce constat, il nous a semblé judicieux de proposer aux promoteurs un outil facilitant la réappropriation immédiate du quartier par les nouveaux habitants.
Julie le Bourhis La Plaine à Saint-Denis est selon moi, un quartier qui est complètement passé à côté de ses objectifs de revitalisation du territoire. Même s’il accueille des activités économiques à forte valeur ajoutée, on ne peut pas dire qu’il y ait une vraie vie de quartier, au contraire.... C’est vraiment dommage car Plaine Commune regorge d’associations et de petites entreprises qui auraient pu apporter une vraie dynamique à ce quartier si elles y avaient été intégrées au projet !
Sémia Moudni Notre projet a également été guidé par des discussions que nous avons pu avoir avec des responsables d’associations (notamment à Romainville) qui nous expliquaient leur difficulté à créer un réseau solidaire aussi solide que complet au sein des différents quartiers; à la fois à cause du manque d’outils à disposition pour permettre une vraie synergie mais souvent, et surtout, par manque de connaissance de l’ensemble des structures existantes. Cette volonté de faciliter le déploiement d’un réseau solidaire animant la vie du quartier nous a servi de fil conducteur.
En quoi consiste l’outil que vous avez imaginé pour les acteurs de la fabrique de la ville ?
Foncier Commun est un outil, porté par une coopérative du même nom, qui permet au promoteur d’assurer l'activation de son futur projet urbain. Le mécanisme est simple pour qu’il soit adaptable à chaque situation ;
Dans un premier temps, à l’image du 1% artistique, le promoteur partenaire s’engage à allouer un pourcentage de son foncier à la création d’un espace commun en rez-de-ville.
Dans un second temps, Foncier Commun accompagne le promoteur dans l’identification des besoins locaux et des acteurs présents sur le territoire.
Enfin, Foncier Commun met à disposition une plateforme citoyenne qui facilite l’animation de l’espace et la communication des acteurs associatifs entre eux et avec les habitants.
Une fois l’espace ouvert, un gestionnaire désigné en phase concertation anime le lieu. Pour garantir la pérennité des activités, le gestionnaire n’est pas le propriétaire. L’espace est en copropriété partagée entre le promoteur et Foncier Commun. Si le promoteur souhaite se désengager, Foncier Commun désigne, sur consultation, un nouveau propriétaire s’inscrivant dans la charte des valeurs de la coopérative.
Foncier Commun fait un bilan annuel des actions réalisées sur le site, compile et partage les bonnes pratiques. Ce bilan est à disposition du promoteur afin de valoriser ses activités en interne et en externe.
Ainsi, d’ensemblier urbain à ensemblier social, le promoteur garantit une vie de quartier pérenne pour l’ensemble de ses projets. L’outil proposé ne constitue pas une étape supplémentaire du projet urbain.
En quoi votre proposition se différencie-t-elle des initiatives existantes, notamment des foncières dédiées à l’animation des rez-de-chaussée commerciaux ?
On nous a souvent demandé en quoi notre outil se différencie de la conciergerie de quartier. Tout comme Lulu Dans Ma Rue ou Faciliti (lancé par Quartus), Foncier Commun souhaite créer du lien social, dynamiser la vie de quartier, en proposant notamment une plateforme connectée. Toutefois, les différences avec ces projets sont nombreuses. Nous ne souhaitons pas devenir un opérateur de services. Les activités présentes sur site varient en fonction du contexte et n’ont pas vocation à être toutes lucratives. Il ne s’agit pas de devenir un Le Bon Coin du quartier. L’espace commun a vocation d’être un lieu de rencontres, d’organisation d’évènements, et pas un seul point d’information ou de réservation de services. L’objectif est d’y passer du temps, de flâner aussi. Ensuite, notre outil dépasse l’échelle du quartier et s’inscrit pleinement au sein de la commune, voire celle de la communauté de communes, puisque ce sont les associations locales et les acteurs de l’ESS qui peuvent intervenir dans l’espace commun. La plateforme permet ce changement d’échelle en mettant en relation à la fois ces acteurs avec les habitants, et également les acteurs entre eux car aujourd’hui cela peut être compliqué pour eux de mutualiser leurs initiatives.
Enfin, pour répondre précisément à votre question, Foncier Commun se démarque des foncières dédiées à l’animation des rez-de-chaussée commerciaux, comme Base Commune, sur le thème de la commercialisation justement. L’idée ici n’est pas de se concentrer uniquement sur le commerce de proximité. Nous pensons que l’ouverture de commerces en pied d’immeuble n’est pas toujours vecteur de lien social. Parfois, les besoins sont autres et c’est tout le travail de la coopérative que d’identifier les manques actuels et usages futurs. Dépasser la problématique des rez-de-chaussée vacants facilite également la systématisation de l’outil et l’adaptation à tous les contextes territoriaux.
Quelle suite imaginez-vous pour le projet “Foncier commun” ?
Il y a eu un vrai relai de notre idée sur les réseaux sociaux professionnels et nous avons été sollicitées par plusieurs promoteurs pour pitcher le projet. Cela nous encourage évidemment à continuer. Nous aimerions beaucoup profiter de cette opportunité pour transmettre les enseignements qui ont découlé de ce challenge. Nous avons mené un benchmark, réfléchi aux grands enjeux de l’urbain ainsi qu’au rôle du promoteur immobilier dans la fabrique d’une ville inclusive. Ce serait une réussite pour nous de pouvoir transmettre ces idées en développant notre réflexion au sein d’un article pour une revue spécialisée.
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